Dans le cadre de ses prérogatives, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) s’est penché à nouveau sur la meilleure prise en charge possible du corps d’un défunt musulman décédé suite à une infection par le (Covid19) en tenant compte de l’Avis du HCSP en date du 24 mars 2020. Mizane.info publie son communiqué à titre d’information.
Au vu des connaissances disponibles aujourd’hui sur le virus COVID 19, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a été saisi par la Direction Générale de la Santé (DGS) le 10 mars 2020 afin de réexaminer les modalités de prise en charge des corps en cohérence avec les précautions recommandées pour la prise en charge des patients peu ou pas symptomatiques.
L’avis du HCSP du 24 mars 2020, remplace donc son avis du 18 février 2020 et apporte quelques précisions que nous allons passer en revu avec leurs déclinaisons en lien avec les règles rituelles musulmanes. Les personnes qui ne souhaitent pas rentrer dans les détails peuvent se contenter du résumé dans l’encadré ci-après :
Résumé de l’Avis du CFCM :
Il faut d’emblée préciser que le nouveau avis du HCSP réaffirme le risque infectieux du patient, même si les voies de transmission sont réduites, et en particulier les voies respiratoires.
Il réaffirme également l’interdiction de tout acte de thanatopraxie (techniques de conservation du corps, comme l’embaumement, ndlr).
Enfin, il indique qu’en cas d’un impératif rituel nécessitant la présence active de personnes désignées par les proches, cela doit être limité à deux personnes au maximum, équipées (par un masque chirurgical, lunettes, tabliers anti-projection, gants à usage unique) comme le personnel en charge de la toilette, de l’habillage ou du transfert dans une housse, après accord de l’équipe de soins ou du personnel de la chambre mortuaire ou funéraire, selon le lieu de sa réalisation.
Il va sans dire que dans le contexte actuel de manque de moyens de protection, y compris pour le personnel de santé, des charges de travail qui pèsent sur le personnel de santé et la complexité du protocole de mise et de retrait des tenues de protection, il n’est pas responsable de faire prendre un risque certain au personnel funéraire et aux proches du défunt en voulant réaliser la toilette mortuaire.
Au vu de ces risques, nous conseillons de ne pas pratiquer la toilette mortuaire.
S’agissant des corps des personnes décédées et non reconnues comme infectées du coronavirus (Covid19), il convient de préciser que le HCSP a indiqué que « L’existence de formes asymptomatiques ou pauci-symptomatiques est avérée et un certain nombre de patients décédés, atteints du (Covid 19) ne seront probablement pas identifiés.
De plus, la recherche de SARS-CoV-2 n’est pas indiquée chez les personnes décédées ». En d’autres termes, l’impossibilité de dire avec certitude que le défunt n’est pas infecté est une réalité à ne pas sous-estimer.
C’est dire que, malgré ce nouveau avis du HCSP, les hôpitaux vont très probablement continuer à prendre les mêmes précautions qu’auparavant.
La possibilité de voir le visage du défunt, tout en respectant les mesures barrières, est une disposition que préconise le rapport du HCSP et qui pourrait être autorisée par les hôpitaux aux proches du défunt.
Les musulmans de France doivent rester fidèles aux principes de la religion musulmane, notamment celui de la préservation de la vie : « Celui qui sauve une vie humaine c’est comme s’il a sauvé toute l’humanité » (Coran 5 :32).
Mobiliser le personnel de santé, déjà très sollicité dans la prise en charge des malades, pour pouvoir réaliser la toilette mortuaire, est en contradiction avec le principe de la préservation de la vie qui donne priorité à la prise en charge des vivants.
La plus grande aumône que nous pouvons offrir à nos défunts c’est de permettre au personnel de santé d’utiliser toute son énergie pour sauver des vies et non pour s’occuper de leur toilette mortuaire.
Il est utile de rappeler que les décédés en période de pandémie sont élevés au rang des martyrs. Et que, même s’ils n’ont pas le statut de martyrs de guerre pour qui aucune toilette mortuaire n’est pratiquée, ils sont victime d’une guerre contre l’épidémie qui exige des pratiques exceptionnelles.
La suspension de la toilette mortuaire fait partie de ces pratiques exceptionnelles prévues dans la tradition musulmane.
Eléments de contexte :
Le HCSP a pris en compte plusieurs éléments dont (ici « SARS-CoV-2 » est le nom scientifique du virus responsable du Covid 19) :
Le risque infectieux ne disparaît pas immédiatement avec le décès d’un patient infecté ; mais les voies de transmission sont réduites, et en particulier la voie respiratoire, qui constitue le mode principal de transmission du SARS-CoV-2.
Les précautions standard doivent être appliquées lors de la manipulation de tout corps d’une personne décédée.
Le virus est retrouvé dans les voies aériennes supérieures et potentiellement dans les voies aériennes profondes et le système digestif des personnes infectées par le SARS- CoV-2.
La transmission des coronavirus des surfaces contaminées vers les mains n’a pas été prouvée.
Cependant, elle ne peut être exclue, à partir de surfaces fraichement contaminées par les sécrétions. Par ailleurs, les coronavirus survivent probablement jusqu’à 3 heures sur des surfaces inertes sèches et jusqu’à 6 jours en milieu humide.
Ainsi, la transmission manuportée à partir de l’environnement ou du patient est possible.
L’existence de formes asymptomatiques ou pauci-symptomatiques est avérée et un certain nombre de patients décédés, porteurs du SARS-CoV-2 ne seront probablement pas identifiés.
De plus, la recherche de SARS-CoV-2 n’est pas indiquée chez les personnes décédées.
La manipulation d’un corps peut exposer le personnel le manipulant à des germes à transmission aérienne, comme cela a été rapporté pour Mycobacterium tuberculosis.
La recommandation du HCSP de 2009 [2] relative à la mise en bière immédiate dans un cercueil simple et l’interdiction des soins de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes : rage, tuberculose active non traitée ou traitée pendant moins d’un mois, toute maladie émergente infectieuse transmissible (SRAS, grippe aviaire…) a été prise en compte.
Des opérateurs funéraires peuvent intervenir sur réquisition sur le lieu de découverte d’un corps qui doit être transporté vers un institut médico-légal (IML) ou un centre funéraire sur la base d’une réquisition judiciaire.
Dans ce cadre, les opérateurs ont pour mission de placer eux-mêmes le corps dans une housse mortuaire fournie par leur soin (et donc de manipuler le corps pour ce faire), puis de transporter le corps placé dans la housse (souvent qualifié de transport « à visage découvert ») dans les véhicules adaptés jusqu’à l’IML (ou le centre funéraire) prescrit par l’officier de police judiciaire (OPJ) ou le magistrat.
RECOMMANDATION GÉNÉRALES DU (HCSP)
Les précautions énoncées ci-dessous s’appliquent en cas de décès d’un patient cas probable ou confirmé de COVID-19.
Le personnel en charge de la toilette, de l’habillage ou du transfert dans une housse est équipé d’une tenue de protection adaptée (lunettes, masque chirurgical, tablier anti- projection, gants à usage unique).
Les proches peuvent voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière définies ci-après pour chaque lieu.
Si un impératif rituel nécessite la présence active de personnes désignées par les proches, cela doit être limité à deux personnes au maximum, équipées comme le personnel en charge de la toilette, de l’habillage ou du transfert dans une housse, après accord de l’équipe de soins ou du personnel de la chambre mortuaire ou funéraire, selon le lieu de sa réalisation.
Aucun acte de thanatopraxie n’est pratiqué.
Les effets personnels de la personne décédée, s’ils ne peuvent pas être lavés à plus de 60°C pendant au moins 30 minutes ou désinfectés, sont mis dans un sac plastique fermé pendant 10 jours.
RECOMMANDATIONS PARTICULIÈRES DU (HCSP).
Ces recommandations consultables dans l’avis du HCSP du 24 mars 2020 visent à rappeler des dispositions particulières selon le lieu de décès. Outre les précautions liées à la toilette mortuaire rappelées précédemment, le HCSP précise que :
Si le décès intervient dans une chambre hospitalière de patient,
Un brancard recouvert d’un drap à usage unique est apporté dans la chambre pour y déposer le corps ;
Le corps est enveloppé dans une housse mortuaire imperméable avec l’identification de la personne décédée et l’heure de décès inscrits sur la housse.
La housse est fermée, en maintenant une ouverture de 5-10 cm en haut si le corps n’a pu être présenté aux proches et devra l’être en chambre mortuaire, et désinfectée avec une lingette imprégnée de détergent-désinfectant répondant aux normes de virucidie vis-à-vis des virus enveloppés.
Le corps dans sa housse est déposé sur le brancard ;
Le corps dans sa housse recouverte d’un drap est transféré en chambre mortuaire ; cette procédure permet de gérer le risque infectieux en toute sécurité
Dans la chambre mortuaire :
– Le personnel qui ouvre la housse porte un masque chirurgical, des lunettes, des gants et un tablier anti-projection ;
– Le corps, dans sa housse, est recouvert d’un drap jusqu’au buste pour présentation du visage de la personne décédée aux proches, si ceux-ci le demandent. Le corps est présenté aux proches à une distance d’au moins un mètre, le contact avec le corps n’étant pas autorisé ;
– Le corps est déposé en cercueil simple, répondant aux caractéristiques définies à l’article R.2213-25 du Code général des collectivités territoriales ;
ÉLÉMENT DU DROIT MUSULMAN
S’occuper des funérailles est une obligation collective (Fard Kifâya): Si une partie de la communauté s’en occupe, le reste en sera exonéré.
Certaines dispositions rituelles telles que la toilette mortuaire, la mise du corps du défunt dans un linceul et la prière mortuaire peuvent être aménagées compte tenu du principe de la préservation de la vie de celui qui procède au rituel funéraire.
S’agissant des ablutions (toilette mortuaire)
Le cas du lavage mortuaire d’un défunt décédé par une maladie contagieuse a été exposé il y a quelques années avec la maladie SARS.
Des savants ont répondu à ce sujet en se basant sur les principes et fondements du droit musulman dont voici quelques éléments :
En cas d’impossibilité du lavage, on passe au versement de l’eau sur le corps.
En cas d’impossibilité du versement de l’eau, il faut faire les ablutions sèches (tayammum).
Ainsi, si les médecins experts interdisent le contact avec le défunt y compris le lavage et le tayammum, il est possible de prier sur le défunt directement sans lavage ni tayammum.
Dans les maladies contagieuses, la nécessité de préservation des laveurs aboutit à l’exemption de l’obligation du lavage mortuaire.
Mais cette exemption se restreint aux limites de ladite nécessité. Ainsi, les médecins experts définissent les limites dans lesquelles il est permis à quelqu’un de laver le défunt infecté.
C’est pourquoi on ne recourt pas à l’exemption du lavage ou du tayammum qu’après la prise en compte des mesures de préservation des laveurs afin de les préserver de contracter la maladie.
Il faut aussi que les laveurs soient expérimentés avec les mesures de précautions et ne les prennent pas à la légère.
Les musulmans de France doivent rester fidèles aux principes de la religion musulmane, notamment celui de la préservation de la vie : « Celui qui sauve une vie c’est comme s’il a sauvé toute l’humanité ».
Les précautions exigées par le HCSP, sont dans la pratique difficiles, voire impossible à mettre en œuvre. Le personnel funéraire et les proches du défunt ne sont pas formés pour mettre les tenues de protections et les retirer en sécurité.
Des membres du personnel de santé, malgré qu’ils soient bien formés, ont pu être atteints par le Covid 19. Des décès parmi eux ont pu être enregistrés.
Les moyens de protection ne sont pas disponibles en quantités suffisantes, y compris pour le personnel de santé.
Mobiliser le personnel de santé, déjà débordé par la prise en charge des malades, pour pouvoir réaliser la toilette mortuaire de nos défunts, est en contradiction avec le principe de la préservation de la vie qui donne priorité à la prise en charge des vivants.
La plus grande aumône que nous pouvons offrir à nos morts c’est de permettre au personnel de santé d’utiliser tout son énergie à sauver des vies et non à s’occuper de leur toilette mortuaire.
Nous devons accepter dans la paix et la sérénité les décisions prises par les institutions hospitalières, seules en mesure d’évaluer la situation réelle.
S’agissant de l’enveloppe du corps par un linceul (Kafane)
Le HCSP recommande que le corps soit enveloppé dans une housse mortuaire étanche hermétiquement close.
Cette house peut faire office de linceul, puisque la finalité de l’enveloppe est la sauvegarde de la dignité du défunt.
Le linceul pourra être déposé sur la housse qui ne doit en aucun cas être ouverte.
S’agissant de la prière mortuaire (Salat Janaza)
La prière mortuaire pourra avoir directement dans le cimetière, en respectant les consignes de sécurité et de prévention concernant les rassemblements et concernant aussi l’entretien du corps du défunt.
La prière pourra se faire, si la situation l’exige, sur la tombe après l’enterrement.
Si la prière mortuaire est organisée dans une mosquée, en raison par exemple du rapatriement du corps vers le pays d’origine, il convient de privilégier les mosquées disposant d’un espace extérieur et y permettant l’accès du véhicule transportant le cercueil.
Dans ce cas aussi, les consignes de sécurité et de prévention concernant les rassemblements doivent être respectées. Le cercueil pourra rester dans le véhicule.
S’agissant de l’inhumation (Addafne)
L’organisation des cérémonies funéraires demeure à ce jour possible. Toutefois, ces cérémonies doivent avoir lieu dans stricte limite du cercle des intimes (nombre très réduit) en observant scrupuleusement les gestes barrières tels que le maintien d’une distance d’au moins un mètre entre les personnes présentes et en évitant à fortiori les embrassades.
Seuls les membres de la famille proche (20 personnes au maximum) ainsi que le personnel en charge des rites funéraires pourront faire l’objet d’une dérogation aux mesures de confinement fondée sur des « motifs familiaux impérieux ».
Par ailleurs, le CFCM invite les familles et le personnel funéraire à se rapprocher de la préfecture avant chaque inhumation pour vérifier que des consignes plus strictes n’ont pas été édictées dans la localité concernée en raison de l’évolution de la pandémie de Coronavirus à l’échelle de chaque département (certaines préfectures limitent à 5 le nombre de personnes présentes).
Conscient du caractère contraignant de certaines mesures nécessaires pour la protection de tous, le CFCM appelle les imams et aumôniers à faire preuve d’une grande solidarité avec les familles endeuillées en leur prodiguant conseils et réconforts face à la douleur du deuil et aux contraintes qu’impose le contexte actuel.
Par ailleurs, il convient de rappeler que les vols sont suspendus entre la France et de nombreux pays entrainant l’impossibilité de rapatriement des corps vers ces pays.
Des possibilités de rapatriement par avion cargo (sans accompagnateur du cercueil) sont aussi très encadrées. Il faut en particulier produire une attestation certifiant que le décès n’est pas dû à une infection contagieuse.
Et comme les tests de coronavirus ne peuvent être effectués y compris sur certains malades, tout corps est considéré comme potentiellement porteur du virus.
Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation, le CFCM s’est adressé au Président de La République pour qu’il puisse rassurer les familles des défunts et leur éviter de faire face, en plus de la perte d’un être cher et la douleur du deuil, à l’éventualité de ne pas pouvoir inhumer leurs défunts dans des conditions dignes.
Le CFCM a également sollicité le soutien des responsables des autres cultes dans le cadre de la Conférence des Responsables de culte de France (CRCF). Ce soutien a été unanime.
Le président de la République et le Ministre de l’intérieur se sont engagés à assurer à tout défunt d’être inhumé dans le respect de ses convictions.
Interrogé par le président du CFCM, sur les rumeurs qui circulent sur une prétendue pratique généralisée de crémation dans les jours à venir, le Président de la République a tenu à rassurer les familles qu’une telle éventualité est complètement écartée.
Le CFCM appelle tout-e musulman-e, dont le conjoint ou la personne qui serait amenée à prendre en charge son inhumation ne partage pas les mêmes convictions en matière de rite, à faire part par écrit (devant deux témoins) de sa volonté d’être inhumé selon le rite musulman.
Cela évitera à ses proches des situations difficiles au moment où ils feront face à la douleur du deuil.
N.B. Ces recommandations, élaborées sur la base des connaissances disponibles à la date de publication de cet avis, peuvent évoluer en fonction de l’actualisation des connaissances et des données épidémiologiques.