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dimanche 22 décembre 2024

Mohammed Krabch, aumônier musulman : « Notre rôle est d’apporter un soutien au malade et à sa famille »

Mohammed El Mahdi Krabch. ©Mizane.info

Juriste de formation, Mohammed El Mahdi KRABCH est à 43 ans aumônier musulman référent des hôpitaux de l’Hérault (Occitanie). Il est aussi Consultant aux Affaires théologiques et Bioéthiques « où la dimension spirituelle est convoquée », confie-t-il à la rédaction de Mizane.info qui lui consacre un portrait.

Dès son plus jeune âge, Mohammed El Mahdi Krabch, né au Maroc, baigne dans un environnement familial religieux. « Mon père était imam. Mes oncles aussi. Je suis hafiz al Quran (mémorisateur du Coran, ndlr). J’ai étudié au sein de l’association musulmane de la ville de Temara. Je dirigais les prières du tarawih (prières nocturnes du mois de Ramadan, ndlr) à la mosquée Omar ibn Al Khattab dans le quartier de Massira 2. » Actuellement aumônier musulman référent des hôpitaux de l’Hérault, M. Krabch a reçu un enseignement religieux conforme au rite malikite, officiel au Maroc, et à l’enseignement soufi selon l’école de Junayd.

Un double cursus religieux et profane

« J’ai appris le fiqh (droit et jurisprudence musulmane) et usul al fiqh (fondements du droit musulman) chez des professeurs en jurisprudence musulmane comme le maître Larbi Zarqawi au sein de l’association de l’Imam Malik pour l’apprentissage du Coran. J’ai complété cet apprentissage avec des modules sur le statut personnel et les fondements du droit enseignés à la faculté de Rabat en droit public. »

Son objectif est alors de suivre deux cursus à la fois : une formation profane avec le droit français et une connaissance plus approfondie des sources canoniques et jurisprudentielles de l’islam. Il débarque ainsi en France à l’âge de 24 ans pour poursuivre des études de droit à Montpellier et Perpignan.

Après un master de droit en poche, Mohammed El Mahdi se rend à Montpellier où il soutient et obtient un diplôme en science criminelle avant de décrocher un master 2 en droit comparé à Perpignan, puis un certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Il officie également comme imam dans plusieurs mosquées pendant plusieurs années.

Cette double formation religieuse et profane offre un regard singulier et complémentaire à celui qui cumule à présent une double expérience en tant qu’imam et depuis trois ans, comme aumônier musulman référent. Il n’y a pas, selon lui, de contradiction entre le droit positif et le droit musulman canonique qui est une construction humaine effectuée à partir des sources religieuses de l’islam.

Notre défi, explique M. Krabch à Mizane.info, est d’adapter notre pratique musulmane au contexte social en respectant les fondamentaux de la religion, le Coran, la sunna et la tradition. Il s’agit de mettre à l’aise le musulman dans sa pratique.

Qu’est-ce qu’un aumônier musulman ?

L’aumônier est un ministre du culte travaillant dans un espace laïque. Il existe une aumônerie militaire, pénitentiaire et hospitalière. « Dans cet espace, les aumôniers catholiques, protestants et musulmans sont amenés à travailler et collaborer ensemble au service des malades. La maladie fragilise les patients. Notre rôle est de leur apporter un soutien ainsi qu’à leur famille. »

Le Covid, précise Mohammed Kranch, a toutefois bousculé le fonctionnement de l’aumônerie. « Beaucoup de familles touchés par le Covid ont connu des problèmes au niveau du rapatriement des défunts, comme au Maroc où les frontières ont été fermées. Nous avons donc opté pour l’inhumation locale. »

Il y a eu aussi des difficultés au sujet de la toilette rituelle, rite indispensable avant l’inhumation des morts. « Nous ne pouvions pas laver les corps car l’eau favorise la contamination. Nous avons pu recourir au tayyamum avec des gants (ablution avec une pierre, ndlr). »

Décès, toilette rituelle, inhumation, démarches administratives, conseils religieux : le champ d’intervention de l’aumônier musulman est vaste et non sans difficulté.

« Nous sommes sollicités à intervenir dans tous ces cas mais aussi pour fournir un accompagnement spirituel aux malades, répondre à leurs questions religieuses. On me demande par exemple la lecture du Coran, la lecture d’invocations, on me questionne sur les règles d’accomplissement de la prière. »

L’IVG pour les mamans qui rencontrent des complications fait partie des questions importantes qui reviennent, ou encore le sens de la souffrance. « Est-ce qu’on a mérité cette maladie parce qu’on a péché ? me demandent certains malades. Je leur réponds que non car même les prophètes ont été éprouvés par la maladie. »

Faire mieux connaître l’aumônerie aux musulmans

La médiation pour favoriser la réconciliation entre des proches parents est également un cas d’intervention possible.  « Je me présente parfois comme imam car le terme d’aumônier n’est pas connu parmi les musulmans », précise M. Krabch qui insiste sur l’importance de cette méconnaissance du public de confession musulmane.

« Le public ne connait pas l’existence des aumôniers. Ils vont plutôt solliciter la présence d’un imam. N’oublions pas que la visite d’un malade est en islam un acte d’adoration. Les mosquées peuvent informer les fidèles de l’existence des aumôneries. Nous sommes là pour les servir. Nous sommes formés pour cela. »

Mais l’aumônier musulman n’est pas un imam. « Le rôle de l’aumônier musulman n’est pas de prêcher. Il intervient à la demande des familles pour les accompagner et leur témoigner une écoute active. Les patients sont fragiles, il faut prendre cela en considération. »

Etre aumônier implique aussi une certaine déontologie dont le respect du secret professionnel fait partie. « Nous sommes-là pour éclairer les patients et non décider à leur place. Parfois, nous n’avons pas de réponse à leur question et nous nous devons de rester humbles. »

Ce qui n’est pas une sinécure dès lors que les patients attendent des réponses claires et tranchées sur des sujets parfois épineux.

« Il ne faut pas tout le temps se focaliser sur le schéma du halal et du haram. Il faut responsabiliser les musulmans. Notre rôle est de présenter les dispositions, les sources et les avis, non d’influencer leur choix. »

« Respecte l’être humain, car s’il n’est pas ton frère dans la religion, il est ton frère dans l’humanité »

Les situations les plus difficiles sur le terrain, précise-t-il, restent celle de la douleur des familles qui ne peuvent pas visiter les malades à cause du Covid, ajoute M. Krabch.

Conscient des enjeux qui se dessinent dans ce travail des clercs musulmans (aumônier musulman et imam), Mohammed el Mahdi Krabch a décidé de s’engager dans la formation des aumôniers au niveau régional en Occitanie. Mais pas seulement. Il est également impliqué depuis peu dans la dynamique lancée par le Bureau central des cultes autour du Forum de l’islam de France, cette fois sur la question de la professionnalisation et du recrutement des imams.

Il ne faut pas tomber dans le binaire, le halal ou le haram. Nous sommes dans un village-monde, avec les réseaux sociaux, la mondialisation. Comment pratiquer notre religion tout en préservant la fraternité humaine ? C’est la question que nous devons nous poser.

Et pour répondre à cette question, M. Krach ajoute qu’il existe des ressources dans la tradition musulmane comme cette parole d’Ali ibn Abi Taleb : « Respecte l’être humain, car s’il n’est pas ton frère dans la religion, il est ton frère dans l’humanité. » L’humain est bon à la base. Il faut juste faire ressortir cette bonté du cœur. »

Pour l’aumônier musulman référent des hôpitaux de l’Hérault et consultant aux Affaires théologiques et Bioéthiques, l’islam est sans aucun doute compatible avec le droit et la culture française. A deux conditions.

Les cinq fondamentaux de la jurisprudence

La première est la connaissance par les clercs musulmans (imams, aumôniers) des cinq règles jurisprudentielles déterminant l’approche de la religion. Il les détaille à Mizane.info.

1-La première règle est l’intention car « les actes ne valent que selon les intentions », l’intention de servir les musulmans et la communauté nationale en général pour réussir le vivre-ensemble. « C’est une chose importante que ce vivre-ensemble même si les choses ne sont pas faciles. »

2-La seconde règle énonce qu’une difficulté engendre une facilité. Quand une personne est malade, elle est dispensée de jeûne, quand un travailleur subit des contraintes, il peut rassembler les prières. « L’islam n’est pas un bloc monolithique figé. Il y a de la souplesse dans notre tradition. Il suffit juste de l’appliquer. »

3-La troisième règle stipule que l’usage et la coutume ont leur place dans la pratique religieuse. Il faut donc maîtriser à la fois le texte et le contexte, connaître les mentalités et la langue. « Ces principes sont pratiqués par tous les jurisconsultes. La coutume française n’a rien à voir avec la coutume marocaine. Je connais très bien la société française comme la société marocaine et saoudienne. Je décèle très bien les différences entre ces environnements. »

4-Quatrième règle, cardinale : il ne faut causer aucun dommage, ni préjudice mutuel par sa parole ou son comportement. Ne pas porter atteinte à la dignité de la personne, au bien des gens, ou à l’ordre public.

5-Le pragmatisme dans la pratique et la prise en compte de l’intérêt général est la cinquième règle. « Il faut prendre en considération la pluralité de notre société, ce qui rejoint la laïcité car la laïcité garantit le vivre ensemble et la liberté de conscience. C’est une chance qu’il faut défendre. »

Un aumônier musulman optimiste et réaliste

Ce travail d’adaptation est donc possible. « Il n’y a pas de contradiction entre le droit positif et la foi ou la pratique religieuse. Un contrat de mariage conclu à la mairie est religieusement valable. » Dès lors qu’il est entendu que la loi s’applique à tous, et que la religion est spécifique. « Il ne faut pas mélanger les genres », ajoute M. Krabch.

La seconde condition de cette compatibilité est plus difficile à réunir : l’institutionnalisation du culte musulman. Il ne peut pas en effet y avoir de réponse individuelle à certaines questions comme celles de la bioéthique. D’où l’importance d’un conseil théologique qui puisse statuer sur ces sujets. « Malheureusement nous n’avons rien de tel en France. Raison pour laquelle je salue la démarche du FORIF. Nous avons beaucoup de retard et nous devons prendre nos responsabilités. Depuis 2003, le côté théologique nous a manqué. »

Les conditions de nomination et de recrutement des aumôniers, la qualité de l’accompagnement spirituel, et la définition d’un programme de formation dans des centres, sont les questions centrales qui se profilent prochainement pour l’aumônerie musulmane.

Malgré les difficultés, Mohammed El Mehdi Krabch, à l’image de plusieurs acteurs engagés dans le FORIF, reste néanmoins confiant dans le cadre laïque. « La laïcité est la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est la liberté de conscience et de pratique dans le respect de l’ordre public. »

Confiant, mais non naïf. « Ce n’est pas toujours facile mais tout ne va pas mal non plus lorsqu’on établit une comparaison avec les autres pays. La récupération de la laïcité à des fins politiques est un problème malheureusement toujours d’actualité. Mais ce problème intervient au niveau médiatique, pas sur le terrain. Pour réussir le vivre-ensemble, chacun doit fournir un effort. »

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