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mardi 15 octobre 2024

Le bizutage institutionnel des musulmans

Dans son nouvel ouvrage intitulé « La France, l’islam et ses musulmans », Roland Laffitte dénonce « les tentatives (de l’exécutif) tout aussi laborieuses qu’infructueuses pour chercher à maintenir le contrôle de type concordataire sur l’Islam tout en protestant du respect de la loi de séparation ». A lire sur Mizane.info.

L’inertie de l’exception faite de la loi de 1905 pour la religion islamique imprègne largement l’esprit de bien de nos hommes politiques et gens de médias, chez qui il est de bon ton de réclamer aujourd’hui de l’État qu’il fasse preuve vis-à-vis des musulmans de la même fermeté que l’Empire napoléonien montra vis-à-vis des Juifs en 1808. Ce fut le cas naguère de François Fillon, alors que les scandales ne l’avaient point encore fait trébucher sur l’estrade présidentielle. « Il n’y pas d’attitude néocoloniale par rapport à la religion musulmane ! », proclamait-il alors. « Il y a eu autrefois un combat très violent mené par la République pour forcer la religion catholique à accepter les principes républicains, il y eu le même combat qui a été mené par Napoléon pour la religion juive, donc ce n’est pas une question de néocolonialisme, c’est une question d’actualisation de la relation avec les Musulmans 1. »

Cette attitude est d’ailleurs réclamée comme un leitmotiv 2. Dans son essai sur le séparatisme islamiste, abusivement sous-titré Manifeste pour la laïcité 3, Gérald Darmanin revendique explicitement la politique napoléonienne à l’égard des Juifs français comme un modèle à appliquer aux Musulmans aujourd’hui.

Un décret discriminatoire contre les Juifs

Ceux qui se vantent de cette politique proclamée d’« intégration républicaine » – comme on sait l’Empire était tout à fait « républicain » ! ‒, s’empressent d’oublier deux choses. La première, quelque peu gênante, est que le décret du 17 mars 1808 réintroduisait des mesures discriminatoires contre les Juifs, abolies par l’Assemblée nationale en 1791, et qu’il mérite parfaitement en ce sens l’épithète de « décret infâme » dont l’histoire l’a gratifié 4.

La seconde chose s’exprime par la question suivante : comment la République de 2021 pourrait-elle s’inspirer, dans les conditions de l’application de la loi sur la séparation des Églises et de l’État de décembre 1905, d’une règle datant de 1808, et donc strictement liée, voire aggravée pour les Juifs ‒ aux conditions du Concordat avec Rome de 1801 ?

En effet, le problème majeur de cette invocation de Napoléon est que nous ne sommes plus, hormis l’Alsace et la Moselle en France métropolitaine, sous le régime du Concordat, et cela sans oublier les départements et territoires d’Outremer où existent des statuts dérogatoires.

Dire en effet que, dans les départements restés concordataires et en Guyane, les imams ne sont pas rémunérés à l’instar des prêtres, pasteurs et rabbins ! Régir aujourd’hui l’Islam comme aux temps concordataires ou aux temps coloniaux où la loi de 1905 ne fut pas appliquée dans les dits « départements français » d’Algérie et où survivait de fait, sous prétexte de régime d’exception islamique, c’est-à-dire pour des raisons de pure police, n’est formellement pas possible en droit.

Le fantasme du Grand Remplacement

Il faut donc trouver des biais. Cela explique les tentatives tout aussi laborieuses qu’infructueuses pour chercher à maintenir le contrôle de type concordataire sur l’Islam tout en protestant du respect de la loi de séparation, et les palinodies des gouvernements successifs.

Elles ont pour effet de blesser les musulmans et exaspèrent, à l’opposé, ceux qui réduisent l’identité de la France à sa composante chrétienne, voire judéo-chrétienne, ce qui fait mode et plus rassembleur contre l’islam, et réclament une fermeté totale et implacable envers l’islam dans lequel ils voient le fantasme du Grand remplacement 5.

Par rapport aux années 1900 auxquelles la situation présente nous ramène, la création langagière est notable. On ne dit plus, depuis la fin des années 1970, islamisme pour dire islam, mais il règne dans les termes officiels un flou délétère.

La dénonciation et la stigmatisation de l’islamisme, de l’islam politique ou radical suggère une continuité entre radicalisme religieux ou fondamentalisme, et radicalisme politique des salafo-djihadistes d’Al-Qaïda et Daech 6.

Ce phénomène est complaisamment énoncé et décrit par des idéologues à la mode 7 mais largement démenti par nombre d’études de politologues et de sociologues sérieux 8. À l’accusation ternaire traditionnelle perpétrée contre la religion islamique rappelée précédemment, s’ajoute désormais un quatrième élément, rédhibitoire.

L’accusation de taqiyya contre les musulmans

Formulé par des islamologues sans scrupule, il met en exergue la taqiyya, la « dissimulation », qui est avant tout dans les faits une pratique ésotérique, et non politique, propre aux courants non-sunnites, c’est-à-dire chiites, ismaéliens notamment, et druzes, et consiste en la non-divulgation de données ésotériques, et n’est nullement une obligation politique qui s’imposerait à tout Musulman pieux 9.

Il résulte de ces préjugés que tout usage d’un Musulman qui ne correspond pas à la conduite supposée commune et abusivement érigée en norme « républicaine », devient suspect. Gérald Darmanin ne se dit-il pas « choqué » par les « rayons communautaires de la grande distribution » 10 ?

Et Jean-Pierre Chevènement, connu par ailleurs pour des paroles sages, et qui fut le premier président de la Fondation de l’Islam de France, ne voit-il pas lui-même dans le « voile islamique » une marque de « séparatisme » 11 ?

Comme l’aurait dit Alphonse Allais, à moins que ce ne soit Alfred Jarry, « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites » … En ce cas, la France est saturée de « séparatismes » divers et variés… Il y a là de surcroît, derrière l’utilisation de ce terme, qui est en politique synonyme de « sécessionnisme », une confusion entre politique et culture qui revendique de façon étonnante la République comme orthopraxie culturelle…

Roland Laffitte

Notes :

1-François Fillon, sur l’antenne de BFM, lors de l’émission « Bourdin direct », le 30/09/2016.

2-Les articles éloquents sur ce sujet ne manquent pas. Parmi bien d’autres, Louis Manaranche, « Islam de France : pourquoi il faut prendre exemple sur le consistoire de Napoléon », Le Figaro du 27/02/2015 ; ou Arthur Chevallier, « Islam en France : l’exemple de Napoléon et du judaïsme », Le Point du 28/10/2019

3-Éditions de l’Observatoire, février 2021.

4-On lira avec intérêt, à ce propos, l’article d’Esther Benbassa et JeanChristophe Attiss, « De Napoléon et les juifs à Darmanin et les musulmans », sur le site Huffpost le 31/03/2021.

5-La formule a fait florès avec le livre de Renaud Camus, Le Grand Remplacement, Neuilly-sur-Seine : D. Reinharc, 2011

6-Voir « Dissolution du CCIF : Derrière l’accusation d’islamisme, tous les coups sont permis », dans mon blog de Mediapart le 23/11/2020.

7-La liste des ouvrages qui cultivent une vision déplorable de l’Islam et des Musulmans, assimilés aux banlieues de non-droit est longue. Citons seulement Gilles Kepel, Les banlieues de l’islam. Naissance d’une religion, Paris : Seuil, 1987 ; Georges Bensoussan (dir.), Les territoires perdus de la République – antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris : Mille et une nuit, 2002 ; encore Gilles Kepel, Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Paris : Gallimard, 2012 ; et le tout nouvel avatar de cette série, Bernard Rougier (dir.), Les territoires conquis par l’islamisme, Paris : PUF, 2020.

8-On peut se référer tout particulièrement à Raphaël Liogier, « Le salafisme, antichambre du jihadisme ? », dans Libération du 23/11/2015 ; Farhad Khosrokhavar, « Qui sont les jeunes jihadistes français », dans Rhizome, n° 59 (2016/1), 69-73 ; Olivier Roy, « Le Salafisme n’est pas le sas d’entrée du terrorisme », Le Temps du 14/10/2016 ; ou encore François Burgat, Comprendre l’Islam politique : une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste, 1973- 2016, Paris : La Découverte, 2016.

9-Voir « Taqiyya », sur Orient XXI le 05/12/2018.

10-Gérald Darmanin, déclaration sur le plateau de BFMTV le 20/10/2019.

11-Twitter @chevenement, 02/11/2020.

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