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samedi 21 décembre 2024

« La Tunisie est devenue la première confidente de l’Italie »

Professeur d’italien auprès de l’ENSG et de l’international Paris School of Business, chroniqueur sur Mizane.info, Gianguglielmo Lozato vient de faire paraître un livre sur les relations italo-tunisiennes. Mizane.info l’a interrogé sur la nature des rapports culturelles et historiques entre les deux pays. L’ouvrage est disponible sur ce lien.

Un mot sur le titre de votre livre. Vous mettez en avant les rapports entre l’Italie et la Tunisie, ce qui peut surprendre les non-initiés. Quelle est la nature exacte des rapports privilégiés entre ces deux pays ?

Gianguglielmo Lozato : Une relation de bon voisinage, presque fraternelle. Une sorte de cousinage facilité par la proximité géographique.

Avant tout des rapports cordiaux, rarement polémiques. Tunisiens et Italiens de Tunisie avaient même vécu l’époque du colonialisme tous ensemble.

Après la proclamation de l’Indépendance, des Italiens sont restés enseigner, exercer le métier de mécanicien automobile ou de fraiseur -tourneur…

Puis une curiosité réciproque animée par certaines choses en commun, comme la consommation de thon ou de pâtes alimentaires.

En effet, la pêche au thon est un vrai événement que soit en Sicile ou au Cap Bon, et les pâtes dont l’image demeure attachée à celle de l’Italie se déclinent aussi en versions variées et fréquentes en Tunisie (macarouna babboucha, fell, nwasser).

Il s’agit d’une relation d’échange basée sur des contacts, des comparaisons sans compétition en général.

Gianguglielmo Lozato est l’auteur du livre « Italie et Tunisie entre miroir réfléchissant et miroir déformant ».

A une époque, la télévision italienne était même captée directement dans les foyers tunisiens, ce qui a donné une ouverture.

Et puis le politicien Bettino Craxi s’était installé à Hammam-Lif pour échapper à la justice de son pays.

Pourquoi parler de miroirs réfléchissant et miroirs déformants ?

Comme je l’ai écrit dans mon essai, la Tunisie est devenue la première confidente de l’Italie dans le monde arabe. Le jeu de miroir s’opère dans l’objectivité comme dans la subjectivité.

Tout d’abord les deux pays se sentent à part, à leur échelle continentale respective.

Le paysage politique est devenu très mosaïqué depuis la disparition du parti unique de Benali en Tunisie, à l’image de la désarticulation politicienne et régionaliste qui sévit en Italie.

Ce qui a augmenté le capital sympathie tunisien dans la nation italienne.

Il y a une impression de gémellité politique qui s’est accentuée avec la nomination de certains hommes politiques pantomimes et la généralisation de la corruption.

Cependant, le miroir peut être déformant lorsque l’on constate la vision que l’Union Européenne adopte, jugeant approximativement les deux pays.

Pensons aussi à la gestion des migrants dans l’espace maritime.

Pas étonnant que Salvini ait voulu cesser toute intervention en haute mer devant une Europe qui déléguait tout le travail aux responsables des eaux territoriales italo-tunisiennes.

Quelles sont les relations historiques entre l’Italie et la Tunisie ? Y a-t-il eu un passif colonial entres elles ?

La force de ces relations est qu’elles reposent sur un passé non colonial.

Donc sur un sentiment affranchi de toute agressivité revancharde.

Dès l’Antiquité, des contacts existaient entre les deux territoires alors que la Tunisie n’était pas encore arabisante.

Au fil du temps, les relations ont été saines dans l’ensemble, des Italiens s’y étant même installés pour raisons professionnelles au Moyen-Age, génois (ils ont laissé un fort à Bizerte), toscans ou siciliens.

Beaucoup plus tard, c’est Giuseppe Garibaldi en personne qui était resté six mois en Tunisie afin de se prémunir des projets d’assassinat dont il était l’objet de la part de pays européens n’étant pas favorable à la création d’une unité italienne.

En fait, les Italiens n’ont jamais vraiment entretenu de relations conflictuelles avec les « sarrazins » de Tunisie.

Pour preuve, la seule expédition punitive des pisans au 11ème siècle au Maghreb s’est limitée à la wilaya de Annaba.

Les relations italo-tunisiennes ont-elles évolué ces dernières années ? Que pensent par exemple les Italiens des Tunisiens, et vice versa ?

Au cours des dernières décennies, les relations ont évolué sans pour autant s’en trouver bouleversées.

Les flux de migrants incessants ont d’abord jeté un doute réciproque sur les réelles intentions de l’autre.

Pour aboutir au final à d’étroites collaborations.

Naturellement, avec la montée du populisme en Italie, les Tunisiens ont cherché à savoir si le racisme avait prise en Italie.

Et avec les derniers événements liés au terrorisme, les Italiens se sont montrés un peu plus circonspects.

Mais dans l’ensemble, les deux populations s’estiment proches tout en étant différentes, les Italiens connaissant très peu en général les autres peuples arabes.

De plus un certain nombre de Tunisiens ont commencé à travailler en Italie, ne privilégiant plus la France ou la Belgique, même si après 2010 et les répercussions de la grande crise économique beaucoup ont changé de pays de résidence.

Après Italiens et Tunisiens ont peut-être aussi comme autre atome crochu une profonde aversion de la Libye (sourire) !

Quid du tourisme italien en Tunisie ?

Les Italiens ont aimé depuis longtemps se rendre en Tunisie à des fins touristiques. Vers les grands classiques comme Djerba, Hammamet.

Mais le touriste italien a plus l’instinct de visiter aussi Tunis, alors que la capitale n’est pas forcément la destination prioritaire des tours operator. En 2019, on s’est aperçu d’une augmentation de 21,4 % du nombres de touristes italiens.

La démarche du tourisme italien lambda s’insère dans une volonté de se détendre, de découvrir, ce qui est logique pour un voyageur.

Mais à cela s’ajoute une configuration affective plus nette par rapport aux autres pays arabes, symbolisée par exemple par une chanson italienne créée dans les années 80 et qui était intitulée « Il treno di Tozeur », une sorte d’hommage au lézard rouge, le petit train de la Tunisie Intérieure.

Vous écrivez que 10 % de la population tunisienne aurait des liens génétiques avec des Italiens !

Effectivement, d’après certains spécialistes en généalogie et généticiens, 10 % de la population aurait soit un parent éloigné soit un ancêtre italien.

Des gens comme Luigi Cavalli-Sforza ou Maria Grazia Olla pourraient en parler mieux que moi.

D’ailleurs d’après les rumeurs, Léonard de Vinci en personne aurait été de père italien et de mère tunisienne.

Vous écrivez aussi qu’il existe un rapport au temps similaire dans les deux pays. Que voulez-vous dire ?

En effet, les deux pays s’étendent au milieu de l’interface méditerranéenne, chacun sur une rive. Donc un même rapport de base à la luminosité. Dès que l’on dépasse l’Italie du Nord et que l’on arrive à Florence, on peut dire « buona sera »/ bonsoir à partir de 14H00 ou 15H00.

En Tunisie, cet errement sémantique existe aussi.

La fragmentation des salutations obéit aussi à une logique propre.

L’Italien pourra dire bonjour, bonne matinée, bon après-midi aussi bien pour saluer que pour congédier.

Ce découpage ressemble un peu à la manie des Tunisiens de varier les salutations de première moitié de journée de « sabah el nour » à « sabah el werd ».

Ceci a pour effet une vision des choses liée à l’observation du temps qui passe comme du temps qui fait, et cela a eu des répercussions dans la façon d’établir un raisonnement en Histoire avec une vision plus synchronique que diachronique des choses. Fatalisme ?

Un dernier mot sur la culture. Quelle influence culturelle existe-t-elle entre les deux pays ?

Une influence perceptible depuis longtemps. Par exemple le couscous. Il s’agit d’un plat typiquement nord-africain.

Cependant il existe également en Italie du Sud. Sur l’île de Pantelleria on peut y déguster une version au lapin.

Tandis que sur l’île de Lampedusa le couscous au poisson est présent comme en Tunisie. Un type de couscous que l’on retrouve sur la côte occidentale de la Sicile comme dans la ville de Trapani.

Plus étonnant encore le couscous était préparé en Italie Centrale jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, précisément dans la ville portuaire de Livourne qui a entretenu pendant plusieurs siècles des liens avec le territoire tunisien.

En outre dans le champ religieux existe une curiosité vraiment singulière, inattendue : la présence de la phrase « Allah Ou Akbar » inscrite en caractères arabes à l’intérieur de la Basilique San Nicola, dans la ville de Bari, un ancien émirat d’ailleurs.

Pour ce qui est de l’influence italienne envers la Tunisie, elle concurrence l’influence arabophone et francophone qui elles se manifestent dans les grandes lignes.

Toutefois, c’est dans les détails que l’on surprend la présence italienne.

Ce qui m’avait frappé lors de mon premier séjour en Tunisie en 1992 c’était que je pouvais déguster un espresso à l’italienne en certaines occasions alors que c’était à l’époque impossible au Maroc ou en Algérie.

La présence du citron pour accompagner la viande dans l’assiette est aussi un point commun hérité des italiens.

Dans le domaine du sport de haut niveau, le football italien a beaucoup marqué les esprits à tel point que lors de l’affrontement Espérance de Tunis vs CS Sfax on parle de remake de l’AS Roma-Juventus en référence à la similitude des couleurs des équipes.

Et puis nous pouvons assister à l’emploi d’intéressants faits de langue : le mot « triglia » pour désigner le rouget s’emploie dans les deux nations.

On pourrait tout à fait imaginer une zone franche italo-tunisienne en cas de défaillance de la Commission Européenne et de son morcellement, qui préfigurerait une zone de libre-échange méditerranéenne.

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