Jeûner n’est pas seulement un exercice de discipline physique ou psychologique : c’est également une école de morale et d’élévation spirituelle. Un élément qui n’a pas échappé à l’illustre Abu Hamid Al Ghazali, auteur d’une somme monumentale, Ihya ‘ouloum eddine (La revivification des sciences religieuses) qui comporte un chapitre sur les secrets du jeûne. Mizane vous en offre un aperçu.
Le jeune est une pratique centrale dans la religion musulmane. Cette pratique comporte plusieurs niveaux, plusieurs degrés et ses dimensions sont multiples. Le grand savant dans les sciences religieuses, Abu Hamid Al Ghazali, a dressé à ce sujet une typologie dans l’un des livres de son encyclopédie Ihya ‘ouloum eddine (La revivification des sciences religieuses) : le jeûne du commun, le jeûne des particuliers et le jeûne du particulier des particuliers. « Le jeûne du commun, explique-t-il, est l’abstention pour le ventre et le sexe de satisfaire leurs désirs comme nous venons de l’expliquer. Le jeûne des particuliers est l’abstinence de commettre des péchés de l’ouïe, de la vue, de la langue, de la main, de la jambe et de tous les autres membres du corps. Quant au jeûne du particulier des particuliers, c’est le jeûne du cœur quant aux basses questions et aux pensées de ce monde. La rupture de ce jeûne se produit par la pensée de la création du Tout-Puissant et quant au Jugement Dernier et par la pensée quant à ce monde mais un monde consacré à la religion. Cela est de la nourriture de l’au-delà et non pas de ce monde ».
La confiance, vertu de l’élite des croyants
Le jeûne du particulier des particuliers est un jeûne fondé sur la confiance. Le jeûne des particuliers est un jeûne fondé sur l’éthique du Bien et la vigilance à ne pas commettre le blâmable, le péché Sertie de cette confiance, le croyant de cette catégorie ne cherche pas à se nourrir car il sait que Dieu le nourrira. « Cette confiance qui est la marque des Prophètes, des Amis de Dieu et des rapprochés du Seigneur, ne s’exprime pas par la parole mais par l’acte. C’est un élan de toute l’âme vers le Tout-Puissant, un abandon de tout ce qui n’est pas Dieu l’Auguste et une adoption de la parole du Seigneur : « Dis-leur : c’est Dieu. Ensuite, laisse-les en leur causerie se divertir. »
Le jeûne des particuliers est un jeûne fondé sur l’éthique du Bien et la vigilance à ne pas commettre le blâmable, le péché. Il consiste à préserver son regard des choses détestables, des choses désirables et de tout ce qui peut occuper le cœur et le détourner de l’invocation. « Le regard est une flèche empoisonnée d’Ibliss, que Dieu le maudisse. Quiconque l’abandonne par crainte de Dieu, le Seigneur lui donnera une foi dont il goûtera la douceur en son cœur », selon une tradition prophétique citée par Ghazali. Une autre tradition souligne les fautes morales qui invalident le jeûne et, a contrario, les qualités que le jeûne apporte au jeûneur et à la société. Les cinq fautes concernent l’usage de la parole et trois d’entre-elles concernent le mensonge. « Cinq choses font rompre le jeûne : le mensonge, la médisance, la diffamation, le serment mensonger et le regard concupiscent. »
Se libérer des chaînes de la consommation
Cette exigence morale est à la fois un effet du jeûne et un devoir du jeûneur à l’égard d’une pratique au statut spirituel élevé. Selon le Prophète, « Le jeûne est un paradis. Si l’un d’entre vous jeûne, qu’il ne dise pas de grossièretés et qu’il ne soit pas ignorant. Si quelqu’un lui cherche querelle ou l’insulte, qu’il réponde : je jeûne ! ». Ce qui est interdit à dire est également interdit à écouter. Celui qui prête l’oreille à la médisance est associé à la médisance.
Plus globalement, Ghazali considère dans sa compréhension de la tradition prophétique que le jeûne a valeur de dépôt et que chacun est responsable de ce dépôt. Une compréhension qui n’oublie pas la dimension corporelle et charnelle de l’homme. Dans sa réflexion, Al Ghazali souligne l’ineptie et l’absurdité qu’il y a à se remplir le ventre au moment de la rupture du jeûne allant jusqu’à faire deux repas au lieu d’un seul pour rattraper ce qui n’a pas été consommé la journée. Critique de l’approche superficielle des savants de l’apparent, Ghazali cite la métaphore de l’écorce et du noyau pour distinguer les partisans de la connaissance du cœur de ceux qui ont choisi la superficie de l’écorce Par cette pratique excessive, le musulman ne fait qu’entretenir les désirs de la consommation et l’emprise satanique qui les caractérise, quand son jeûne devait précisément l’en purifier. Une analyse plus que jamais d’actualité.
L’écorce et le noyau
C’est donc à la lumière de ces multiples finalités que le jeûne doit être approché. Une méconnaissance de ces finalités peut conduire un jeûneur à se retrouver en rupture de jeûne à son insu, du fait de ses fautes, tandis qu’une personne en rupture de jeûne sera, elle, sous un certain rapport en état de jeûne, ayant préservé ses membres et son cœur des actes blâmables. Critique de l’approche superficielle des savants de l’apparent (exotériques) Al Ghazali cite la métaphore de l’écorce et du noyau pour distinguer les partisans de la connaissance du cœur de ceux qui ont choisi la superficie de l’écorce.