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mardi 15 octobre 2024

Le football comme métaphore du grand remplacement

Le football comme métaphore du grand remplacement mizane info

La dernière coupe du monde et ses conséquences sur le football français ont pris sur les réseaux sociaux une importance absolument démesurée en rapport à sa réalité. Pourquoi ? Les explications dans ce billet de Fouad Bahri publié sur Mizane.info.

 « Ils ont découvert qu’ils pouvaient continuer à jouer, dans leur âge mûr, comme ils jouaient, enfants. Cela s’appelle le sport. Le sport a tué le spleen. Sport, en anglais, veut dire jeu. Nous imitons les Anglais et faisons du sport. Mais sport, en français, ne veut pas dire jeu. En français, sport n’a pas d’autre sens que sport. Et le sport n’est pas du tout un jeu pour les Français. » J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 135.

Du jamais vu de mémoire d’homme, et de crampons. Depuis la coupe du monde au Qatar et ses conséquences sur le football français en commençant par le départ de Karim Benzéma, les révélations sur les manœuvres du staff français, puis les dernières sorties de Noël le Graët sur Zidane, sans oublier les épisodes du départ de Ronaldo de l’Europe vers l’Arabie saoudite, la franchosphère a perdu la tête, visiblement percutée par un ballon. Qui l’a tirée ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que cette focalisation absolument permanente des esprits sur des considérations footballistiques masque mal la réalité d’un phénomène qui l’explique pourtant en grande partie : le grand remplacement.

Le football, une métaphore populaire

Avant d’aller plus loin sur ce sujet, un petit préliminaire : le football n’est plus un sport depuis longtemps. Un sport est une « activité physique, le plus souvent de plein air et nécessitant généralement un entraînement, qui s’exerce sous forme de jeu ou de compétition, suivant des règles déterminées » (CNRTL). A la base, le sport était surtout un divertissement comme le rappelle l’étymologie de ce terme (emprunté. à l’anglais.sport attesté. depuis. le XVe. au sens de « amusement, passe-temps, jeu, distraction » d’où, en particulier., « distraction de plein air à base d’exercice physique »).

En France, pour paraphraser J.R Bloch, le football n’est pas un jeu. Encore moins un divertissement. C’est autre chose. Une métaphore. Un espace mental où se joue toutes les confrontations, où s’entrechoquent toutes les identités, l’application de ce dernier terme ayant été encore rallongée par la litanie wokiste.

Le football charrie toutes sortes de choses dans son sillage. Une régulation de la guerre. Un topos du combat. Bien mieux, un film en trois dimensions où tous les ratés de la société vous explosent en plein visage. Du pur fantasme. Voir des Arabes, berbères, afro-descendants, faux métèques de circonstance, « Français » en suspens, en repli ou en devenir, gente issue des basses classes sociales, voir ces légions courir après le succès, remporter des victoires, gagner des millions d’euros, arracher les plus grands trophées et se retrouver propulsés sur le toit du monde des supporters, a un effet grisant, addictif et compense bien des frustrations existentielles.

Peau qui saigne et miroir brisé

Beaucoup s’y prêtent, se laissent tenter au point d’en lâcher tous les repères et de cultiver la passion du ballon rond. Et toute passion ne cherchant rien d’autre qu’à se perdre dans l’excès de sa propre démesure, ils finissent par se perdre.

En conjecture d’abord. Les fractures socio-politiques françaises qu’un impensé sociologique ne parvient plus à refouler surgissent de tous les pores du gazon. Le terrain est une peau écorchée vive qui sue, qui saigne. Un terrain glissant. La nation se choisit ses héros et les adversaires se retrouvent souvent dans le même camp. La défaite de l’équipe n’est plus si grave si elle valorise notre champion. Elle peut même glorifier son absence.

Le football est un miroir brisé. Chacun en ramasse un morceau et le présente comme la vérité. Mais dans cette conscience brisée d’un moment qui n’en finit plus, les cicatrices ne se referment jamais.

Donc, le football comme grand remplacement. Qu’est-ce que cette expression signifie ? D’aucuns penseront immédiatement à la polémique Deschamps/Zidane, replay du duel Benzema/Giroud.

Le slogan « Zidane président », beaucoup l’avaient oublié, refait son come-back. Gouverner l’équipe nationale, c’est un peu comme gouverner la France : voilà bien une noble ambition, une impossible mission. Quand est-ce que les Français de branche, de cette branche qui casse aisément, prendront le pouvoir et assiéront leurs magistère ? La question traverse les esprits. Et la même réponse fuse. S’asseoir sur une branche est un exercice périlleux, mieux vaut rester au sol, à proximité, se sont convaincus les plus affûtés des aficionados.

Un remplacement sans grandeur

Pourtant, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Un grand remplacement peut en cacher un autre. Le football a remplacé beaucoup de choses essentielles et de ce remplacement aucune grandeur ne saurait naître. Une formidable anesthésie des consciences, délestée de son aphasie. Une exubérance infantile dénuée de scrupules. Un grand remplacement quantitatif de tout ce qui peut compter, mais qui n’a aucune valeur. Compter, valeur : nous voilà pris au piège d’un langage colonisé par la mens mensurans, cette ratio qui sans cesse calcule et mesure, mais sans jamais pénétrer les choses et lire en elles (intel legere).

La qualité n’est plus, le sens disparaît, l’essentiel se voile. Les principes sont devenus incompréhensibles pour qui ne veut plus entendre leur voix. Le cou est rigide et le regard ne parvient plus à relever la tête. Il regarde ses pieds et voit son salut en eux. Le rajoul (l’homme, en arabe) s’est réduit au rijl (le pied). Ses pieds lui offrent ce que sa tête ne pourra jamais lui donner.

Initialement, le jeu, puis la course, et enfin la fuite en avant dans l’insouciance du divertissement (étymologiquement, le divertissement est l’ « action de détourner quelque chose »). Le football nous a détourné de l’essentiel. Mais lequel ?

Les réfractaires font entendre leurs voix dans un cri rauque, grognant immédiatement : conservatisme rigide. Les fan(atique)s protestent : condamnation obscurantiste de la joie de vivre. Il y a tant de sujets qui encombrent vainement la conscience humaine, incapable d’y remédier de toute façons. A quoi bon y penser ? C’est se faire du mal inutilement.

« Le désert croît »

Le Pakistan va voir 14 millions de ses habitants sombrer dans l’insécurité alimentaire du fait du « réchauffement climatique », expression euphémisée signifiant destruction programmée du vivant. Inondations sur inondations, les plantations agricoles meurent noyées et avec elles l’avenir des enfants pakistanais. 16 milliards de dollars : telle est la somme à investir pour adapter les infrastructures, préviennent les spécialistes.

Les monarchies pétrolières du Golfe débloqueront-elles les fonds ? Après tout, des liens humains et religieux unissent ces pays au Pakistan. On l’ignore car pour le moment, les fortunes du Golfe ont d’autres chat à fouetter : accueillir convenablement la vedette du football portugais, Christiano Ronaldo. L’homme a déjà signé « un contrat de deux ans et demi à 500 millions d’euros, ce qui équivaut à un salaire annuel de 200 millions d’euros, écrit Capital (…) le quintuple Ballon d’or touchera un peu plus de 16,6 millions d’euros par mois, soit 548.000 euros par jour. »

Inondations au Pakistan.

500 000 000 d’euros, soit 1/5 (20 %) du budget national du Burundi (12,5 millions d’habitants).

« Le désert croît … » fut le cri sourd prononcé par Nietzsche 1. Qu’est-ce à dire ? Pour Heidegger, cela doit se comprendre ainsi : « La désolation s’étend. »

Renaître au cœur du chaos

« Désolation est plus que destruction. Désolation est plus sinistre qu’anéantissement. La destruction abolit seulement ce qui a crû et qui a été édifié jusqu’ici. Mais la désolation barre l’avenir à la croissance et empêche toute édification. La désolation est plus sinistre que le simple anéantissement. Lui aussi abolit, et même encore le rien, tandis que la désolation cultive précisément et étend tout ce qui garrotte et tout ce qui empêche. Le Sahara en Afrique n’est qu’une forme de désert. La désolation de la terre peut s’accompagner de l’atteinte du plus haut standing de vie de l’homme, et aussi bien de l’organisation d’un état de bonheur uniforme de tous les hommes. La désolation peut être la même chose dans les deux cas et tout hanter de la façon la plus sinistre, à savoir en se cachant. » 2

Trop d’exemples se bousculent dans notre tête. Alors laissons là les choses qui n’ont plus droit de cité. Laissons la destruction du tissu social se poursuivre. Laissons l’explosion de la pauvreté croître comme le désert croît. Laissons aussi l’intelligence, la beauté et la force de vie spirituelle de l’humain retrouver son propre chemin en plein cœur de ce chaos, car nous l’avons oublié, c’est par le chaos que s’inaugure toute création, qu’en lui-même se dissimule une vérité inattendue et sous sa bannière qu’on a pu voir souvent l’espoir surgir.

Fouad Bahri

Notes :

1-Citation extraite de Ainsi parlait Zarathoustra.

2-In Qu’appelle-t-on penser ?.

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