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samedi 21 décembre 2024

Islam Belala : « C’est la foi qui détermine la communauté »

Suite de notre publication de textes de réflexion consacrés à la notion de communauté. Après Amal Amir, c’est Islam Belala, doctorant en philosophie, qui poursuit la marche sur Mizane.info. Pour Islam Belala, « ce qui fait communauté ou société est ce regroupement autour de certaines valeurs et de certaines idées que l’on tient pour vraies et que l’on partage communément. »

Qu’est-ce qui fait communauté ? On ne saurait répondre adéquatement à cette question. Non pas que la question soit difficile en elle-même ou philosophiquement impossible, mais davantage du fait que la question peut se décliner en plusieurs sous-problèmes s’inscrivant chacun dans différents champs disciplinaires. Parle-t-on d’une communauté nationale ou d’une communauté de marché ? Ou alors devrait-on aborder la question sous l’angle de la communauté ethnique ou religieuse ? Ne serait-il pas judicieux de parler d’une communauté scientifique et philosophique ou d’une communauté sociologique ?

Ainsi semble-t-il qu’il n’y a jamais qu’une communauté mais seulement des communautés. Ceci est d’autant plus paradoxal que le terme « communauté » ferait référence à ce qui est commun, en d’autres termes à ce qui appartient à la fois à plusieurs sujets et en même temps. Il est donc utile, pour comprendre le problème de la communauté de chercher à identifier cette « chose » que se partagent les sujets dans le but – conscient ou inconscient – de former une communauté.

La foi comme critère

Ce qui fait communauté ou société[1] est ce regroupement autour de certaines valeurs et de certaines idées que l’on tient pour vraies et que l’on partage communément. L’élément fondamental dans ce regroupement est l’ultime conviction en leur authenticité. Indépendamment de la vérité ou de la fausseté des idées en question (pour des membres extérieurs), dès lors qu’il y a foi et croyance en une idée quelconque, il y a nécessairement communauté.

C’est donc la foi qui détermine la communauté. Et puisque l’élément central est la foi, cela explique ce que nous disions plus tôt sur les déclinaisons possibles de la question initiale. Ainsi, il est tout à fait possible d’avoir foi dans des valeurs politiques qui donneraient accès à une communauté politique et en même temps avoir des convictions religieuses qui inscriront son porteur dans une communauté religieuse. Ainsi, comme on disait plus haut, il n’y a pas une communauté, mais des communautés puisque, justement, il est possible d’adhérer à plusieurs systèmes de valeurs.

La communauté des prophètes

Cette idée d’adhésion volontaire accompagnée d’une foi est le principe coranique qui détermine la communauté. A deux reprises, le Coran s’adressant aux prophètes dit : « Certainement, cette communauté qui est la vôtre (umatukum), est une communauté unique ! Et adorez-Moi qui suis votre Seigneur »[2] et, plus loin, dans un second verset, « Certainement, cette communauté qui est la vôtre (umatukum), est une communauté unique ! Et craignez-Moi qui suis votre Seigneur »[3]. L’accent qui est mis en évidence dans ces deux versets est bien entendu le fait que la communauté des prophètes est une indépendamment de leur langues (puisqu’il est fermement établi que les prophètes n’ont pas parlé la même langue), indépendamment de leur temps, de leur espace et même de leur législation, chari’a.

Ce qui fait donc « communauté » c’est le partage de la même croyance et de la même doctrine vis-à-vis de Dieu. La communauté est donc ainsi établie dans la mesure où tous les prophètes partagent la même foi en un Dieu unique et ceci bien qu’ils puissent en même temps appartenir à d’autres communautés, comme la communauté des « Fils d’Israël » (les bani Isra’il) par exemple…

Ce discours coranique s’adresse effectivement aux prophètes mais il a bien entendu des répercussions sur le commun des mortels. Intègre alors cette communauté quiconque en partage les principes et les doctrines abstraction faite de la langue, de la nationalité, de la couleur de peau ou des convictions politiques ou philosophiques.

Le cas Socrate

En réalité, cette idée de la foi en un système de valeurs constituant la communauté n’est pas propre à l’islam. Les anciens Grecs déjà avaient cette approche et celui qui en fera les frais est évidemment le philosophe Socrate.

Si la condamnation puis la mise à mort de Socrate porte en elles-mêmes des dimensions politiques compte tenu les accusateurs et le contexte de la Grèce antique autour des années 399 av. J.-C., l’analyse des accusations laisse entrevoir autre chose. Socrate est accusé en effet de délaisser les dieux de la cité d’Athènes et d’en introduire des nouveaux et de corrompre ainsi la jeunesse[4].

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit absolument pas d’un procès religieux. Ce qui est en somme reproché à Socrate c’est de s’écarter des croyances populaires et admises et, par extension, s’écarter de ce qui fait d’Athènes ce qu’elle est réellement. L’accusation portait alors non pas sur le fait de remettre en question la foi et les dieux (même si elle en avait l’apparence), mais surtout de s’écarter de la communauté dans laquelle Socrate évoluait. Comme le disait à juste titre Jean-Pierre Vernant : « Rejeter ce fonds de croyances communes ce serait, au même titre que ne plus parler grec, ne plus vivre sur le mode grec, cesser d’être soi-même »[5]. Ainsi, Socrate était accusé de changer la croyance commune qui avait pour conséquence de changer la communauté grecque en général et la communauté athénienne particulièrement.

Islam Belala

Notes :

[1] Pour plus de précisions entre ces deux notions que nous n’avons pas la prétention d’analyser dans le détail dans le présent texte, le lecteur se référera avec intérêt à l’œuvre du sociologue et philosophe allemand Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure (1887), Paris, Presses Universitaires de France, 1944.

[2] Coran, 21/92. Traduction de Islam Belala.

[3] Coran, 23/51. Traduction de Islam Belala.

[4] Voir Edmond Lévy, La Grèce au Ve siècle : de Clisthène à Socrate, Paris, Seuil, 1995, p. 284.

[5] Jean-Pierre Vernant, Mythe et religion en Grèce ancienne, Paris, Seuil, 1990, p. 22-23.

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