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dimanche 22 décembre 2024

Dans la peau d’un(e) converti(e)  

Post-doctorante sur la question des convertis à l’islam, Juliette Galonnier vient de réaliser une enquête sur les convertis à l’islam en France et aux Etats-Unis. L’universitaire dresse un portrait social, psychologique et culturel du converti et souligne les tensions traversées avec les communautés musulmanes. Mizane.info en restitue les temps forts.

Juliette Galonnier est post-doctorante à l’INED dans le cadre du projet ANR « Global Race ». Son objet d’étude est l’expérience comparative des converti-e-s à l’islam en France et aux Etats-Unis. Elle a obtenu en juin 2017 un double doctorat en sociologie de Sciences Po et Northwestern University intitulé Choosing Faith and Facing Race : Converting to Islam in France and the United. Dans une enquête accomplie sur la base de « 82 entretiens biographiques réalisés auprès de converti.e.s à l’islam en France et aux États-Unis ainsi que sur des observations ethnographiques conduites auprès d’associations de convertis dans chacun des deux pays » et publiée dans les colonnes du remarquable site d’information scientifique et académique La vie des idées, Juliette Galonnier dresse un portrait complexe des convertis à travers une comparaison entre musulmans français et américains.

Le converti, figure de répulsion en Occident

L’auteure rappelle tout d’abord que la figure du converti soulève de grandes craintes en Occident à cause de son association avec le terrorisme et l’extrémisme religieux, en dépit du fait que les convertis impliqués dans ces processus représentent… moins de 1 % de tous les convertis. Cette crainte du converti en Europe est ancienne et a traversé l’histoire des relations euro-méditerranéennes. « On peut mentionner l’émotion collective qui a parcouru l’Europe autour du XVIe et XVIIe siècles alors que des centaines de milliers d’Européens se convertissent à l’islam au Maroc et dans les régences ottomanes d’Alger, de Tunis et de Tripoli dans un contexte de piraterie et de guerre maritime sur la Méditerranée (…) Sur l’autre rive, l’Inquisition redouble d’efforts pour traquer ces apostats, que l’on accuse d’avoir « pris le turban », d’avoir « tourné turcs » ou d’être « devenus maures ».

Ils accomplissent leurs prières, seuls, parfois même en cachette pour éviter les conflits. Les repas, piliers de la sphère familiale, deviennent source de tensions

La figure anxiogène du « renégat » fait alors son entrée sur la scène culturelle ». Le premier élément mis en exergue par l’universitaire est la difficulté psychologique et émotionnelle que rencontrent les convertis vis-à-vis de leur entourage familial qui refuse le plus souvent leur décision. « Les convertis rencontrent souvent des difficultés similaires après leur conversion, l’un des problèmes majeurs étant l’isolement. Les convertis sont ainsi confrontés à l’incompréhension, si ce n’est l’indignation, de leurs proches. L’enthousiasme qu’ils expriment pour leur nouvelle religion contraste fortement avec les représentations que ces derniers en ont, conduisant à des dialogues de sourds : accusés de velléités terroristes, de lavage de cerveau, de pudibonderie, de misogynie ou de trahison nationale, ils subissent souvent moqueries et stigmatisation (…) Ils accomplissent leurs prières, seuls, parfois même en cachette pour éviter les conflits. Les repas, piliers de la sphère familiale, deviennent source de tensions, à mesure que les aliments partagés diminuent.»

La grande solitude des convertis pendant le Ramadan

Rejetés par leur entourage, les convertis se retrouvent parfois confrontés à des décalages culturels ou sociaux avec leurs coreligionnaires, décalages pouvant générer toutes sortes de malentendus ou de distances. Selon Juliette Galonnier, c’est précisément pour mettre un terme à cet entre-deux inconfortable et désagréable que certains convertis font le choix de la rupture que l’on peut retrouver dans certaines attitudes néo-salafistes. « Cette double marginalisation met en péril leur affirmation religieuse et peut, dans certains cas, les conduire à adopter une pratique rigide et ostentatoire de la religion visant à entériner le changement religieux une bonne fois pour toutes ». La solitude des convertis, poursuit la chercheuse, se manifeste notamment durant la période du Ramadan, propice aux repas de famille et à une ambiance communautaire particulièrement chaleureuse. « Les convertis préparent et dégustent souvent seuls leur suhoor (repas de l’aube précédant la journée de jeûne) et leur iftar (repas de rupture du jeûne). » Pour remédier à cette solitude mais aussi pour proposer une offre d’accompagnement et d’encadrement spirituel aux convertis, afin par exemple de prévenir toute forme de dérive, des associations et des réseaux se sont au fil des années, constitués.

Ce constat indique que les convertis érigent une frontière nette entre l’islam comme croyance parfaite et intemporelle, et les musulmans comme croyants nécessairement faillibles et imparfaits. (…) « La culture » est alors présentée comme ce qui, pesant sur « la religion », la dénature et la corrompt

« En France et aux États-Unis, de nombreuses mosquées et centres islamiques proposent ainsi des cours pour débutants, visant à assurer la formation religieuse initiale des convertis. En parallèle, des associations de convertis, indépendantes des instances musulmanes traditionnelles, ont également émergé au cours de la dernière décennie. Elles apportent du soutien aux récents convertis à travers des conférences, des visites à la mosquée, des tutorats individuels ou en groupe (comment annoncer la conversion à la famille, trouver sa place dans la communauté), l’organisation de rencontres et de médiations avec les proches, etc. »

La culture comme ligne de fracture entre convertis et musulmans enracinés

L’intérêt de l’enquête de Juliette Galonnier se trouve également dans la manière dont elle illustre le rôle de la culture dans la définition du rapport des convertis avec les autres musulmans. La post-doctorante distingue trois types de rapports à la culture religieuse, eux-mêmes produits de trois types de critiques.

«Un premier groupe considère que la culture contamine l’islam et promeut un islam déculturé, purifié de toute influence extérieure et recentré sur les fondamentaux scripturaires ; le deuxième considère que la culture des musulmans d’origine immigrée (maghrébine, moyen-orientale, sud-asiatique) domine indûment l’islam, et s’investit à l’inverse dans un processus d’acculturation de l’islam à la culture française ou américaine ; le dernier enfin considère que les traditions culturelles héritées des pays d’origine entravent le message de progrès social apporté par l’islam, et s’engage dans des mouvements de réinterprétation des textes.» Ces trois postures tendent à dissocier chez eux, profondément, islam et musulmans, dissociation réalisée au nom d’argumentaires divers mais convergents.

« Ce constat indique que les convertis érigent une frontière nette entre l’islam comme croyance parfaite et intemporelle, et les musulmans comme croyants nécessairement faillibles et imparfaits. (…) « La culture » est alors présentée comme ce qui, pesant sur « la religion », la dénature et la corrompt (Olivier Roy, 2008). En réponse, les convertis se font le devoir de réformer la religion pour la libérer d’influences culturelles jugées néfastes : ils se présentent comme des redéfinisseurs de religion, chargés de la revivifier. »

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