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jeudi 26 décembre 2024

AbdelKader : la fonction du voile

L’émir AbdelKader nous livre, sur Mizane.info, ses enseignements sur la fonction ésotérique du voile dans la Halte n°43 extraite de son Kitab al mawaqif (Albouraq) sous la traduction de Max Giraud.  

Il a dit – qu’Il soit exalté ! – : « Que non ! En vérité, à l’égard de leur Seigneur, ce jour-là, ils seront voilés » (Cor. 83, 15). Quiconque, hormis les connaissants, entend parler de “voile”, s’imagine qu’il y a un voile et une chose qui est voilée ; c’est ce qui vient naturellement à l’esprit lorsqu’on connaît le contenu intrinsèque de ce mot.

Mais c’est une idée fausse, car il n’est question ici que de Dieu et du créé, c’est-à-dire du degré de la nécessité et de la contingence sans aucun intermédiaire. Le créé, en fait, est, d’une certaine manière, “voile” sur sa propre nature, et “voilé” d’une autre manière. Il est voilé dans le sens où lorsque survient l’obtention de la connaissance et la science d’Allâh, c’est lui, le créé, qui est connaissant et savant, et nul autre.

Mais1, sous le rapport où il n’y a pas d’intermédiaire entre Dieu et le créé, et que la connaissance et la science n’existaient pas et qu’ensuite elles existent, c’est cela le voile ; c’est la chose la plus étonnante à entendre et la plus merveilleuse à savoir !

Lors de la réalisation métaphysique, ce que l’on appelle “voile” n’a aucune réalité, ni concrète ni métaphorique, car il n’est de voile que l’ignorance et celle-ci n’est que non science, son “opposition” à la science étant semblable à celle de la non-possession d’une chose et à sa possession 2.

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L’émir AbdelKader.

Lorsqu’Allâh fait la grâce à un serviteur de Le connaître, ce dernier ne trouve pas de voile, ne comprend pas de quelle nature était-ce qui l’empêchait d’avoir la connaissance d’Allâh, ni comment cela a cessé, ni comment il a obtenu la connaissance !

Il a conscience, en effet, que son âme n’a pas bougé de place et que rien n’est “entré” en lui venant de l’“extérieur”. Il est demeuré tel quel ! D’où est venue cette connaissance ? D’où a été obtenue cette science ? D’où s’est produite cette “dilatation intérieure”3 ? Gloire donc au Réducteur Savantissime qui voile sans voile, enseigne sans enseignant, se cache sans écran et apparaît sans apparition !

Un enseignement spirituel nous dit : « Allâh a soixante-dix voiles de lumière ». Il a été rapporté par Abû ash-Shaykh 4, et At-Tabarânî 5 y a ajouté : « Et de ténèbres ; s’Il les retirait, les Gloires de Sa face consumeraient ce que Son Regard toucherait de Ses créatures » 6.

Ces voiles sont les supports de manifestation les plus importants et les autodéterminations les plus imposantes, qui sont voiles pour eux-mêmes et voiles pour les autres créatures. Peu importe ici la précision du nombre, qui n’a pour but que d’indiquer la multiplicité 7. Les voiles lumineux sont les réalités principielles, tandis que les voiles ténébreux sont les réalités existentielles ; les deux ont en commun la fonction de voiler, entendue dans le sens où elles font écran dans la perspective de l’être voilé, mais pas par rapport à Allâh qu’elles ne voilent pas, car Il transcende tout cela 8.

À propos de : « S’Il les retirait, les Gloires de Sa face consumeraient ce que Son Regard toucherait de Ses créatures », j’ai constaté que tous les connaissants ayant évoqué cette Tradition considèrent que le pronom possessif hu (“son”), de « Son Regard », renvoie à Dieu ; mais Dieu, par inspiration directe, m’a fait savoir que ce pronom se rapporte à mâ (“ce que”) et ce qu’il implique, c’est-à-dire le créé 9.

Dieu, en effet, ne peut jamais être voilé, et Son Regard nous atteint sans cesse indubitablement ; c’est nous qui sommes voilés, et ce sont nos regards qui ne peuvent Le saisir 10.

Lorsqu’Il veut – qu’Il soit exalté ! – lever le voile et le retirer pour une créature – ce voile n’étant autre que la nescience –, alors les Gloires de la Face font face à cette dernière et consument sa nature créée, de sorte que disparaît sa nature voilée et subsiste sa nature cachée divine 11.

Dans le voile, il y a une miséricorde pour certaines créatures, et dans son enlèvement, il y a une miséricorde pour d’autres, ainsi que le dit un certain interprète :

« En vérité, si J’apparaissais sans voile, Toutes les créatures mourraient.

Dans le voile il y a un sens subtil Grâce auquel sont vivifiés les cœurs des amoureux. »

Il S’abstient de Se dévoiler à tout le monde – sauf à quelques-uns – afin que les Gloires de la Face ne les consument pas. Lorsque la nature créée de ces derniers est consumée et que subsiste leur nature cachée incréée, ils voient Dieu Lui-même par Lui-même, puisque la nature créée est consumée, anéantie.

Le Prophète – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix ! – nous a attribué la vision, alors que c’est Dieu qui est à la fois réellement Celui qui fait voir et Celui qui est vu, et les Gloires de Sa Face consument le créé à qui Il veut attribuer le privilège de Le voir ; la nature créée de cet être étant consumée, annihilée, il Le voit. Et nul ne voit Dieu excepté Dieu – qu’Il soit exalté !

AbdelKader

Notes :

1 – Nous suivons ici Ms. et Éd. 1 qui contiennent wa (“et”, “mais”) permettant de lire la phrase correctement, malgré la ponctuation fantaisiste des éditions, ici, et d’une manière générale. Nous ne sommes pas seul à préférer avoir affaire à des textes arabes anciens, vierges de toute ponctuation.

2 – On retrouve ici un thème récurrent de la métaphysique hindoue de l’Adwaita Vêdânta.

3 – Le “passage” de l’individuel à l’universel – et inversement – ne peut être saisi puisqu’il n’y a aucune commune mesure entre les “deux”.

4 – Originaire d’Ispahan, mort en 979 ; il est l’auteur du Kitâb al-Amthâl fî al-Hadîth an-Nabawî, recueil de Traditions et de proverbes.

5 – Traditionniste (260/873-360/970), auteur d’un grand recueil de Traditions, Al[1]Mu‘jam al-Kabîr.

6 – Nous traduisons à cet endroit du texte le hadîth tel qu’il est compris habituellement ;

nous verrons plus loin que l’Émîr l’entend dans un autre sens qui sera précisé alors. Sur la question des “Gloires de la Face”, cf. Michel Vâlsan, Le Livre du Nom de Majesté “Allâh”, Études Traditionnelles, 1948, n° 269, pp. 335-337.

7 – Ce nombre est d’ailleurs variable ; on trouve aussi soixante-dix mille. La base reste tout de même sept ou soixante-dix.

8 – Les voiles sont les aspects relatifs des choses (nisab) qui empêchent la prise de conscience de l’Identité suprême : « Les Gloires de la Face sont des désignations de l’Essence ; si elles apparaissent, elles consument des relations (nisab) et non des essences (a‘yân), et il s’avère que la Face est l’Essence même de ces essences. Ainsi s’évanouit l’ignorance, dont le fruit est la vision que le monde n’est pas identique à la Face. Alors le monde subsiste selon sa forme et n’est pas détruit par les Gloires qui, au contraire, “le confirment” et révèlent ce qu’il en est au point de vue de Dieu. Le voile était conceptuel, et c’est la relation qui a été consumée » (Ibn ‘Arabî, Futûhât, II, 460).

9 – Il faudrait alors traduire : « S’Il les retirait, les Gloires de Sa Face consumeraient tout ce qu’Il toucherait du regard venant de Ses créatures. »

10 – Cf. Cor. 6, 103. À partir d’ici, et jusqu’à la fin de cette Halte, nous suivons les éditions, car il manque un passage assez long dans le manuscrit.

11 – Khafiyyatu-hu dans Éd. 1, haqqîyyatu-hu dans Éd. 2, ce second nom, formé sur l’adjectif de relation haqqiyy, qui n’est pas attesté habituellement, peut cependant se traduire par “son aspect divin”, “sa nature divine”. Notre traduction conjugue les deux informations.

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